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Lionel Pourteau
Le Collectif des Sounds Systems (rassemblement des organisateurs de free-party en France)
Mani
Art Flesh' - Ex-Directeur artistique de la Flèche d'Or ayant subi deux fermetures administratives en 2002/2003
Riton
Association Ritournelles et Manivelles - lutte pour défendre le statut de musicien ambulant à Paris
Julien Pion
IRMA - a fait un mémoire sur les nuisances sonores sur l'agglomération parisienne
Bruno Mauguil
Directeur de Musiques Tangentes
Guillaume Michelon
Musiques Tangentes
A la base, la musique techno est une simple évolution de la disco.
Très vite, on l'a décrétée nuisible, dangereuse, associée aux drogues, ce qui n'est pas entièrement faux.
Jeunes, musique, et drogues, quelles que soient les époques, il y a une partie du phénomène qui peut aller avec les questions de drogues,
mais on ne peut évidemment pas, absolument pas résumer l'un à l'autre.
Donc, dès la fin des années 80, en Angleterre d'abord, en europe continentale ensuite,
la techno va etre interdite dans ce qui était ses lieux naturels d'expression, les salles de concerts et les discothèques :
fermetures administratives, interdictions. Le summum va etre atteint par Margaret Thatcher qui va faire voter le Criminal Act Justice en 1990,
qui est une loi qui interdit les rassemblements de plus de cinq personnes dans le but d'écouter de la musique répétitive,
vous voyez qu'en matière de loi liberticide ça se pose quand même là. Ce qui avait d'ailleurs valu une réaction assez amusante
du royal symphonic orchestra, qui immédiatement avait fait un grand concert pour jouer le boléro de Ravel, musique répétitive s'il en est,
qui lui cependant n'a pas été interdit.
Donc je reviens à ma techno. Puisqu'ils n'avaient plus accès aux scènes « classiques » pour l'expression de leur art et de leur musique
et y tenant quand même beaucoup, les amateurs ont décidé qu'après tout ils pouvaient très bien faire ça eux-mêmes
et sont allés dans les endroits les plus reculés possible, les forêts, les carrières, les friches industrielles,
les endroits en fait qui étaient délaissés par une société de plus en plus urbaine et en voie de désindustrialisation rapide.
Donc à partir de là, petit à petit, ces amateurs de techno ont muté, et se sont aperçu qu'après tout on pouvait très bien se passer
de structure classique d'expression de la musique, et qu'on pouvait très bien faire ça soi-meme, et a peu près n'importe où.
A partir de là se créent ces collectifs de personnes, d'artistes, de logisticiens, de techniciens qu'on appelle les sound-systems.
Je serais tenté de dire que c'est un peu la forme contemporaine des communautés hippies, je précise tout de suite,
la liberté sexuelle en moins, c'est dommage mais c'est comme ça, leur vie sexuelle est d'une banalité à mourir, peu importe.
Ils ont donc décidé d'organiser des concerts de musique techno, dans des endroits qu'ils estimaient beaux selon leurs critères esthétiques
et pour eux parfois une friche industrielle peut être un endroit assez beau, en développant des systèmes de valeurs assez particuliers.
Par exemple, le concept de la free-party s'est développé, free-party qui veut dire à la fois gratuit et libre en anglais.
Alors que dans les discothèques ont pouvait imposer le délit de faciès (vous n'avez pas forcément la bonne couleur, vous ne rentrez pas),
on pouvait aussi faire une séléction par l'argent, parfois une rave officielle peut couter jusqu'à 40 euros,
ce qui fait que toute une population ne peut y avoir accès.)
Dans les free-parties, comme le but n'était pas de faire de l'argent mais de donner aux autres l'occasion d'écouter sa musique,
l 'entrée se faisait sur donation, vous donniez ce que vous vouliez, les musiciens du sounds-systems jouaient, mais le dimanche,
comme c'est souvent des phénomènes qui ont une durée assez longue, qui durent du samedi minuit jusqu'au dimanche après-midi,
si vous arriviez avec votre bac de disques et que vous vouliez jouer sur la scène, le sound-system acceptait que vous jouiez sur son matériel.
Vous pouviez venir avec votre chien, vous pouviez venir pique-niquer, venir avec votre manger et votre boire si vous me permettez l'expression,
et donc tout cela fait qu'au dela de la dimension strictement artistique et musicale est né un phénomène social avec son système de valeurs,
son mode de vie, et qui était une façon pendant cinq ou dix ans pour des jeunes gens de vivre une experience alternative
avec d'autres valeurs et d'autres modes de vie que ceux qui sont proposés par notre société qui ne sont pas toujours très séduisants,
ni très sympathiques, il faut bien le reconnaître.
Ceci-dit, cela s'est avéré tellement séduisant que ces rassemblements qui au début visaient quelques centaines de personnes
se sont mis à connaître un succès de plus en plus significatif : 500, 5000, et pour finir maintenant avec des teknivals,
c'est à dire des concerts qui durent 3 ou 4 jours d'affilée, qui peuvent faire jusqu'à 45 000 personnes. Evidemment,
ce qui était déjà interdit et pourchassé lorqu'il y avait 500 personnes, l'est devenu infiniment plus le jour où on a atteint
les volumes dont je viens de vous parler. Les interdictions étaient systématiques, c'est pour ça que les gens des free-party
avaient cessé d'en demander. A partir du moment ou vous avez un refus de cent pour cent de vos demandes d'autorisation,
un jour ou l'autre vous arretez de demander, tout simplement.
A partir de là, l'appareil juridique a commencer à se construire de façon à pouvoir étouffer ce mouvement souvent insaisissable
et qui refusait en plus de se structurer pour des raisons plus ou moins idéologiques, estimant qu'on a pas forcément besoin d'avoir
une entité administrative pour avoir une entité artistique. Le summun a été atteint avec ce qu'on appelle le loi Mariani-Vaillant.
Mariani était député RPR, et Vaillant Ministre de l'intérieur de l'époque, on avait là une étrange alliance entre la gauche et la droite pour
faire voter une loi qui était assez maligne, puiqu'elle a dit : bon, on leur interdit mais ils le font quand même, on leur met des amendes
mais ils continuent. Puisque ce sont des artistes, on va faire ce qui est le plus efficace, on va tout simplement leur saisir leur instrument
de musique et tout ce qui sert avec. Par exemple, si je viens ici avec un camion transportant mon matériel de sonorisation,
on va aussi me prendre mon camion.
La loi a quand meme posé des problèmes existentiels à la gauche. Le soir de la fête de la musique 2001, Jospin a dit qu'en fait il n'y aurait
pas de loi anti-rave, et puis l'année suivante, on était dans une année électorale, le parti socialiste a décidé de jouer
la carte sécuritaire avec le succès que l'on sait, et en douce, dans une loi dite de sécurité quotidienne, entre un amendement
sur la stérilisation des pitbulls et un amendement interdisant les rassemblements dans les cages d'escaliers HLM, on a refait passer
la loi contre les raves-parties.
Les lois avaient alors une nouvelles efficacité : dès que vous commenciez à désobéir et à faire quand meme votre fête,
ça se passait plus ou moins pendant, mais après on vous saisissait vos biens.
Or c' était particulierement douloureux. Il est douloureux pour tout artiste de voir son matériel saisi,
un instrument de musique n'est pas un simple objet, c'est quelque chose avec lequel vous avez une vie, une experience.
Ensuite, la saisie des véhicules, ce qui pouvait paraître anodin pour nos législateurs qui ne prennent pas soin de se renseigner
sur la vie des gens avant de faire des lois à leur sujet, il s'avère que c'étaient souvent des gens un peu nomades, pour qui leur camion était
aussi leur lieu de vie. On leur saisissait aussi d'une certaine façon leur maison.
Le fait est que ça n'a rien arrangé et qu'on est arrivé à des situations de plus en plus problématiques.
Les raveurs, pour vivre leur culture, allaient dans des endroits de plus en plus cachés, et donc avec des risques de plus en plus grands.
On est arrivé à l'évènement du teknival du col de l'arche en 2002, ou en fait les raveurs s'étaient réfugiés dans un endroit
qui était très beau, le col de l'Arche à la frontière entre la France et l'Italie, mais qui était aussi assez dangereux,
s'il y avait eu un accident, les secours n'auraient pas pu venir les chercher.
Ceci à fait prendre conscience aux pouvoirs publics, y compris de façon inattendue à l'actuel ministre de l'intérieur,
qu'il fallait peut-etre recommencer à discuter avec eux et voir si on ne pouvait pas trouver un terrain d'entente,
c'est ce qui est en train de se faire à l'heure actuelle, mais les élus locaux sont encore le plus grand frein à cela,
car si un Etat peut avoir un certain sens du bien collectif, un élu local pense à ses électeurs, or habituellement les jeunes votent peu,
comme m'avait répondu un des conseillers de Vaillant lorque je l'avais rencontré : «Vous ne votez pas, donc vous n'existez pas».
C'était sa vision à lui.
On a encore des situations extremement difficiles, avec peut-etre une légère amélioration, très légère,
depuis quelques mois parce que des membres de l'Etat essaient de se poser la question de trouver un terrain d'entente,
mais on est encore dans une situation globale de censure et d'interdiction à un taux qui est proche du 99 pour cent. Voilà.
Par rapport aux élus locaux, est-ce que ce n'est pas aussi tout simplement le parapluie qu'on déploie parce que les maires sont attaqués pour tout et n'importe quoi, le plus simple c'est d'interdire purement et simplement les manisfestations comme ça on est sur de ne pas avoir de problème ?
Il y a les deux. Cette explication est tout a fait vraie pour les élus de bonne volonté mais j'ai organisé le teknival du Larzac cet été,
et lorqu'on est allé discuter des différentes organisations avec les pouvoirs publics a la sous-préfecture de Millau, on a quand meme été
reçus par les élus locaux UMP et les gens de la FNSEA sous les noms d'oiseaux de «salauds, dealers, allez ailleurs, on ne veut pas de vous» etc.
Là on voit bien qu'on est pas dans les questions de «j'ai un risque de me prendre un procès sur la tête si j'autorise une rave-party»
on est véritablement sur le délit de faciès culturel si j'ose dire, qui fait que si c'est de la techno forcément c'est mal,
et donc on l'interdit.
Il y a les deux. Le problème dont tu parles est réel, mais pour nous secondaire.
C'est aussi ce qui s'est ancré dans la tete des gens au fur et à mesure que les médias se sont fait le reflet de ce que pouvaient
être les rave-parties et ont donné finalement une image très fausse de ce que pouvaient être ces rassemblements.
Au départ ce sont des gens qui se rassemblent uniquement pour leur plaisir, qui sont sont non-violents,
qui étaient assez respectueux de l'environnement et se prenaient en charge, et en fait on en a fait des délinquants,
la presse a essayé de les transformer en délinquants. Résultat des courses, toutes les lois qui sont sorties, plus les médias,
fait que dans la tête des gens, les raveurs, les artistes, les musiciens sont en grande partie des délinquants.
C'est carrément incroyable quand même.
Ce qui est vrai, c'est que tout rassemblement de foule, quel qu'il soit, d'autant plus lorsque la proportion de jeunes gens est assez élévée,
pose des problèmes.
Si vous allez au Touquet, une course automobile, au bout de trois jours, vous allez voir c'est d'une saleté absolument hallucinante.
Vous n'étiez peut-etre pas, ni moi d'ailleurs, à Woodstock, et à Woodstock je vous assure qu'on ne tournait pas qu'au jus d'orange.
Mais il y a une différence entre les problèmes liès à un phénomène, qu'il faut traiter, et interdire le phénomène tout court
au nom de certains types de dérives.
C'est là ou se fait la vraie différence. Et en effet, pour les médias, parce que c'était le plus simple,
et que c'est ce qui demandait le moins de travail, c'est beaucoup plus difficile d'aller discuter avec des gens que de prendre
trois photos à un moment donné, et donc on a résumé les raves à deux choses : la drogue et les ordures.
Il serait faux de dire que ça n'existe pas. Il serait faux de dire que ça résume la question.
Il y a eu la génération Woodstock, et on sait dans quel état était le terrain autour.
Je ne veux pas défendre a priori les gens qui ont manifesté contre votre festival du Larzac, mais je pense qu'il ne faut pas dire :
«c'est comme ça».
La manifestation du Larzac, on a insisté sur le fait que les gens avaient été très responsables,
qu'il y avait eu assez peu de dégats, que les ordures avaient été mises dans un coin, etc, bon, Woodstock ce n'était pas ça,
j'ai vu les reportages ou les photos, c'était assez problématique. Je pense qu'il ne faut pas trop charger les municipalités.
La terre pour un paysan, ce n'est pas fait pour etre piétiné, c'est fait pour etre cultivé, moi j'aime beaucoup la musique,
mais je crois qu'il faut comprendre. D'abord, ce sont des citadins qui débarquent, et puis ils vont piétiner notre terre,
bon, je crois qu'il y a un problème de compréhension, ce ne sont pas le médias qui ont fabriqué l'information.
Oui enfin , je ne sais pas si vous connaissez le Larzac, mais c'est quand meme un désert de cailloux. Donc piétiner la terre moi je veux bien, mais il n'y a pas de culture au Larzac, il y a juste des chèvres et des moutons.
Mais piétiner l'herbe qui a du mal à retenir la terre, c'est la dégrader quand même. Quand il n'y a pas d'herbe, pas de végétation, ça ravine.
Je pense qu'il faut des espaces de liberté pour tout le monde et c'est ça le problème. C'est qu'il faut construire ces espaces de liberté et ce n'est pas en interdisant bêtement qu'on fait avancer les choses.
Il avait été proposé le terrain militaire. C'est du baratin ?
Parce que ça c'était une excellente idée.
C'était une excellente idée. On était tout à fait pour le terrain militaire, pour nous ça aurait été très bien. Mais on partir du moment ou monsieur Jacques Godefrein, député-maire de Millau ...
C'était une provocation de la part du gouvernement ?
Non pas du gouvernement, parce que le gouvernement était plutot pour le teknival, c'était une provocation de la part des élus locaux.
Sur la question du piètinement au Larzac, c'est bien caractéristique.
Il y a eu l'évènement Larzac 2003 organisé par la confédération paysanne,
où on a avait estimé tout a fait normal et pas très grave que la terre soit piétinée par 250 000 personnes pendant quatre jours. Une semaine plus tard, il y a
l'évènement du teknival qui lui a eu lieu essentiellement sur une autoroute, mais où des terres à coté ont été utilisées, le meme type de terre, et là tout d'un coup le piétinement, parce qu'il n'était plus celui des altermondialistes de la confédération paysanne mais celui des vilains raveurs, était tout à fait un scandale pour la nature. Même terre, même type de terre.
Membre de la compagnie Théâtre en Mouvement :
On peut toujours trouver des prétextes pour que les choses ne se fassent pas.
Je vais vous raconter simplement ce qui s'est passé ce matin au marché de Malakoff.
Je suis intermittente du spectacle et membre de la compagnie Théâtre en Mouvement qui devait faire du théâtre
de rue ce matin pour amener les gens à venir débattre sur les ateliers du forum social.
Comme on était pas devant notre tente, et qu'on a décidé d'aller là ou les gens étaient, on nous a viré.
Le policier municipal nous a jeté. J'ai dit «On a pas le droit de faire de théatre de rue ?» «Si vous avez le droit,
je n'ai pas dit ça, mais vous ne pouvez pas rester là» donc ou est la liberté d'expression ? Comment on peut fonctionner ?
On nous a dit «Vous empêcher les commercants de vendre».
Donc il y aura toujours une bonne raison. On peut toujours croire les bonnes raisons si on veut les croire.
Par contre, il faut aussi chercher derrière, ils ont eu la trouille «Vous etes les intermittents du spectacle»,
donc on fout la trouille puisqu'hier la star academy a été bloquée, les pubs du métro ont été taguées,
évidemment puisqu'une lutte se met en place. Du coup, si on écoute et qu'on accepte, on accepte la censure.
Les prétextes, il faut faire attention.
Réfléchissons derrière sur ce que ça veut dire. Mais vraiment.
Autre membre de la compagnie :
On parlait de musique techno. Je voudrais élargir le débat sur le sens des pratiques culturelles en général.
Personnellement, la musique techno ça ne me parle pas du tout, je ne suis pas un connaisseur non plus,
c'est quelque chose que je trouve assez froid, assez binaire, assez simple en soi, mais en meme temps je me rend compte
qu'il y a des quantités de jeunes qui sont très accrochés par ça, donc ça m'intéresse moi aussi en tant que militant politique et associatif.
Ca serait interessant aussi de poser la question des pratiques culturelles dans la société.
En quoi les pratiques culturelles font-elles évoluer les individus ?
Le fait de pratiquer une activité culturelle, danse, théatre ou autre, permet à des
gens d'aller mieux, donc aussi de se socialiser, être dans la société.
La question des intermittents est importante, mais il faut aussi élargir le débat,
ne pas penser que droits sociaux des intermittents. Par exemple, il y a des choses aberrantes,
on parle du régime de l'unedic, il faut savoir que c'est un régime qui repose sur l'interprofessionalité.
Est-ce qu'au niveau de la santé on fait la même chose ? Est-ce qu'au niveau des retraites on fait la même chose ?
Dans ce cas là, nous intermittents au niveau des retraites on est des bons payeurs, parce qu'on paie plus que ce qu'on touche.
Pareil pour la maladie. Quand on est intermittent et qu'on est arrêté, c'est rare qu'on ait un arrêt maladie payé.
Donc c'est une aberration. Mais je crois qu'il faut élargir le sujet des intermittents encore une fois à des sujets de société,
à mon avis tous les thèmes de société se rejoignent, et si je voyais un fil conducteur, c'est la place du citoyen dans la société,
comment chacun agit dans la société fusse avec un mode culturel théâtral , danse ou autre mais de manière à ce que ça ait un sens.
Je voulais dire simplement que par rapport aux raves-parties, on ne regarde pas le côté positif.
Je connais des jeunes qui font des raves parties, ils sont dans la musique,
et il y a moins de dégâts au niveau de toute la violence qui peut se passer autour de vous.
C'est vrai qu'il y a la drogue, ça c'est à chacun de voir, c'est l'individu par lui-meme, mais il n'y a pas que ça.
Il y a aussi le côté musique, moi je ne suis pas vraiment techno, mais c'est vrai qu'écouter par moment de la techno,
on peut aller très loin, faire des choses différentes et nous faire oublier certains problèmes de société.
Par contre, personne ne va bouger pour tous les jeunes, qui agressent et cassent tout gratuitement,
et on va s'arrêter sur des jeunes qui ont besoin de vivre autre chose. Je trouve que c'est quand meme mieux pour eux de s'exprimer
comme ça que par la violence.
Je discute avec des jeunes qui vont à des raves-parties, ils ont besoin d'évasion, ce n'est pas pour ça qu'ils vont tout détruire.
Au contraire.
Dans toutes les sociétés, on a eu besoin d'évasion, on en aura toujours besoin et ça je pense que c'est quelque chose d'humain. Mais il y a toujours quelque chose qui me gène beaucoup à chaque fois qu'on parle des rave-parties, souvent le mot drogue revient. Je trouve ça complètement hallucinant qu'on parle de drogues alors que chacun d'entre nous a une bouteille de vin rouge à la maison. Donc à un moment il va peut-être falloir aussi arrêter la censure autour des drogues. Qu'est-ce que ça veut dire les drogues ? Combien de personnes utilisent la pharmacopée chez eux pour dormir etc. J'aimerais bien que ce mot soit entendu autrement. Ce n'est pas le débat d'aujourd'hui mais ça n'empeche que le mot est revenu au moins une dizaine de fois et moi ça me gêne.
Excusez-moi, je voudrais reprendre sur la drogue.
Dans le temps, l'herbe était utilisée pour soigner certaines maladies
Entre autres, oui. Tout a fait. Et ça sert toujours.
Je suis un élu local, je peux être interpelé un jour pour un teknival à Malakoff, je n'en sais rien.
Déjà je crois qu'il ne faut pas faire le raccourci l'élu pense tout de suite aux électeurs, je pense d'abord citoyenneté,
je crois qu'il faut faire attention, il y a une crainte. L'image des médias qui est donnée sur les raves,
c'est sûr que c'est jeunesse limite délinquante et drogues malheureusement.
Je pense que les médias doivent aussi faire un effort pour montrer une autre jeunesse.
Moi je participe à des soirées techno bien branchée à Paris, quand on montre les boîtes à Paris bien branchée techno,
on ne montre pas des jeunes délinquants, au contraire, on montre des jeunes bien propres, bien habillés, à la mode et
tout donc c'est aussi une volonté de quelle image on veut donner. Moi ce qui m'interroge, j'adore la techno, j'adore y participer,
et je me dis est-ce que les jeunes qui organisent les soirées techno, est-ce qu'ils accepteraient par rapport
à tout ce que vous dites sur les questions de sécurité...parce que je pense qu'ils ont eu un mauvais allié dans cette bataille,
je crois que l'intervention de José Bové ...et quand on les a vu avec Sarkozy, alors là je ne comprends plus rien.
En effet, l'exemple du Larzac a été révélateur, il y a eu 250 000 personnes, après on explique qu'il va y avoir 40 ou 50 000 jeunes
et là on dit :«ah non c'est pas possible, les paysans, la terre, ça va etre sale et tout».
On a peut-etre pas eu toutes les informations, est-ce qu'il y a eu un refus des organisateurs d'aller sur le terrain militaire ?
Ou est-ce qu'ils accepteraient en effet...parce que je pense qu'ils faut prendre certaines mesures d'hygiène, de sécurité,
pour l'accès pompier et tout..que les choses soient organisées.
En effet c'est peut-etre plus sympa, moi j'ai participé une fois, bon, c'est pas mon truc, j'y suis allé une fois pour voir,
mais en effet peut-être que les jeunes aujourd'hui c'est comme ça qu'ils ont envie de s'éclater. Mais est-ce qu'ils accepteraient,
là c'est l'élu local qui se dit, d'etre un peu organisés, d'accepter un peu les institutions comme on dit, pour organiser ce type de soirées..
Ca dépend du niveau de ce qu'on demande. Aujourd'hui on ne peut plus rien faire sans demander cinquante autorisations, faire cinquante déclarations, et on se noie dans des problèmes administratifs ou tout le monde se renvoie la balle.
Je crois que là on va vraiment être dans notre question.
La norme de sécurité, un mot tellement innocent, tellement de bon sens,
et qui est en fait le début de la fin. Je vais vous expliquer.
La musique avec tout le charme qu'elle a, c'est d'abord du bruit. A partir du moment ou c'est du bruit,
il y a des gens qui vont estimer que ça n'est que du bruit et que ça les dérange, et qu'ils ont le droit de vivre sans bruit,
sous entendu sans musique, ils ne se posent pas la question de la musique, ils se posent juste la question du bruit.
Du coup, on va dire «on va vous laisser faire, mais il faut que ça ne fasse pas de bruit». Je parle de la norme par rapport au bruit,
mais on pourrait l'appliquer à tout le reste. «Il y a des risques sanitaires, il faut mettre
des toilettes chimiques, et puis vous savez, vous avez des problèmes avec les drogues , donc il nous faut un hopital de campagne,
évidemment il nous faut aussi quatre compagnies de pompiers, vous etes dangereux, donc là dans le cas du Larzac,
on va vous mettre trois compagnies de CRS, huit escadrons mobiles de gendarmerie...voila, 300 000 euros. Vous les avez ?» Non.
Là je prend l'évènement extreme du teknival du Larzac, mais pour une soirée de deux mille personnes, c'est exactement le meme système.
A partir du moment ou vous, vous partez du fait que vous ne voulez pas faire des soirées à quarante euros, dans un sound-system personne
n'est payé, on est pas là pour ça. Quand je vais jouer au foot on ne me paie pas pour jouer au foot, quand je vais jouer de la musique
ou quand je fais une free-party on ne me paie pas non plus, c'est mon loisir, je dépense mon temps pour les autres mais ça me fait plaisir.
Je veux bien donner tout mon temps possible, mais on m'oblige en fait soi-disant au nom des normes de sécurité à ne pouvoir faire que
des soirées qui coûtent une fortune, et donc en fait on me dit «on ne vous autorise pas à le faire parce que toutes les normes de sécurité
demandées ne sont pas alignées, mais ce n'est parce que je censure votre culture, c'est parce qu'elle n'est pas de fait rentable».
Derrière les normes de sécurité, c'est ça la question, moi je veux bien donner ce que je peux financièrement et qu'on m'installe tout
ce que les gens estiment bon pour notre sécurité, mais la question de la facture, sous l'argumentationéconomique, devient en fait
une sorte de norme sociale et artistique, parce que les gens de la star academy, eux ils auront toujours l'argent pour mettre tout ce
que vous voulez aux normes de sécurité.
Je vais parler très naivement parce que je n'y connais rien. Je suis architecte urbaniste et je suis allé à Rotterdam l'année dernière.
J'ai vu des choses assez intéressantes sur le port de Rotterdam dans les friches industrielles, où la ville a donné deux énormes entrepôts
où j'ai été à deux fêtes technos démentes, il y avait des milliers de jeunes pour une entrée de rien, où tout est mis aux normes.
La question que je voulais poser c'est : est-ce que dans la culture des raves francaises ça serait une chose possible ?
Est-ce que ces raves ne peuvent se faire, du côté des participants que dans l'illégalité, ou est-ce que ça peut se faire d'une manière
plus encadrée.
Il y a eu des tentatives à Marseille sur la friche industrielle qu'on appelle la Belle de Mai.
Ce sont des lieux qui ont été mis aux normes, et quand les technoides sont allés dire «alors on va pouvoir les utiliser ?»
On leur a dit «Non - pas de musique».En fait, après, il y a eu du rap. Mais la techno, on a jamais pu avoir une autorisation.
Donc il y a aussi une culture locale, nationale, qui fait que dans certains pays on a plus ou moins bonne image.
La Hollande est un des pays le mieux fait pour ça, et la gestion des squatts est quelque chose dont nous aurions à nous inspirer.
Il n'y a pas de blocage par rapport à la légalité pour 90 pour cent des raveurs, il y aura toujours des puristes qui vont dire
«non,c'est inacceptable», mais pour l'immense majorité ça ne pose pas de problème.
Ce qui s'est fait à Rotterdam, ça se fait en France. Je l'ai fait à la Flèche d'Or tous les mercredis.
C'était un compromis que j'avais fait avec le collectif Mas I Mas. Je leur ai dit «on va faire la free-party à l'intérieur de l'établissement.
Mais il faudra jouer le jeu, moi je déclare les djs , et donc il faudra faire une petite participation pour l'entrée,
on ne pourra pas faire de la free-party telle-quelle.» Mais c'était deux euros, moins cher qu'un paquet de clopes.
Et donc tout le monde a joué le jeu et on faisait 400, 500 jeunes tous les mercredis. Pour quelqu'un qui organise des spectacles
le mercredi c'est pas évident à remplir, mais comme c'est des jeunes qui ne regardent pas la télé, ça ne pose pas trop de problèmes,
on pouvait le faire n'importe quel jour.
Donc il n'y avait pas, coté administratif, de censure proprement dite, mais vous avez une autre censure qui arrive,
c'est à dire la pression policière. Tous les mercredis, des cars de CRS débarquaient, fouillaient les jeunes qui entraient dans
l'établissement, faisaient en sorte que le spectacle s'arrête en faisant de la provocation, pour finalement faire pression sur
l'établissement qui a subit des fermetures administratives avec des trucs à la con. Je dis des trucs à la con puisque devant les tribunaux
on a quand meme réussi, pas à condamner le préfet, mais a faire rouvrir l'établissement qui était condamné pour un mois de fermeture
administrative.
La censure, elle peut venir du ministre, du maire, elle vient beaucoup des habitants, elle vient dans les conseils de quartier,
dans les forums, elle vient du voisin.
Pourquoi cette peur ? Il y a eu le jazz, il y eu le rock, je me rappelle encore la première fois que j'ai vu Jimmy Hendrix à
la télévision, mon père disait «qu'est-ce que c'est que ce truc ? C'est n'importe quoi» Il m'a avoué quelques années après,
aujourd'hui qu'il est vieux, qu' il aime bien Jimmy Hendrix. Donc on a eu le phénomène du rock, le punk-rock, et aujourd'hui
on en vient à la techno, et pour les gens c'est ahurissant. Et moi je sais que dans 20 ans, les gens qui condamnent aujourd'hui la techno,
peut-etre bien qu'ils vont l'aimer, parce que ceux qui n'ont pas aimé le rock a ses débuts, ils s'y sont faits.
Une fois j'ai organisé une fête pour le mariage d'une adjointe socialiste dans le 20ème, et elle m'a dit «il nous faut du vieux rock»
et donc ça veut dire que le rock était devenu une musique normale, de variété d'aujourd'hui.
Donc il y a ce phénomène culturel. Est-ce qu'il y a toujours eu le conflit anti-jeune ?
Moi je suis producteur de spectacle parce que c'est pour moi une façon de faire de la politique. A Woodstock, ça n'était pas seulement
un phénomène culturel, c'était aussi un phénomène politique, étant donné qu'il s'agissait de se battre contre le racisme aux Etats-unis
et contre la guerre du Viet-nam. Idem pour le punk, aujourd'hui c'est la techno. Evidemment il y a des gens qui se fouttent complètement
de la politique inclus dans les teufs, moi je connais des organisateurs qui se disent «les mecs sont cons, ils ne pensent qu'à se défoncer
la gueule.Ils se fouttent du mouvement et meme de la musique» Eux-memes ragent contre ce public là, qui ne cherche que des cachetons,
prennent n'importe quoi et ne savent même pas les prendre, et la musique passe au second degré.
Mais moi si j'ai soutenu comme ça financièrement et en me battant contre les flics et meme vis-à-vis du patron de la Flèche d'Or,
pour maintenir les soirées techno à la flèche, c'était parce que je considérais que la techno était un mouvement politique, même si les jeunes qui participent
aux évènements n'en sont souvent pas conscients.
Quand ils font une soirée ou les jeunes viennent avec leurs camions qui sont aussi leurs maisons, qu'ils investissent des lieux,
que tout ça est fait gratuitement, que ça se passe par le bouches à oreilles, que c'est la gratuité qui est importante...
aujourd'hui nous participons au forum social, le mot d'ordre c'est «un autre monde est possible», eux ils sont en plein dedans.
Moi je vois les politiques, les associations parler d'un autre monde, mais leur monde n'est pas si différent de celui dans lequel
on vit aujourd'hui. C'est vrai qu'on parle de solidarité, on parle d'améliorer les conditions de travail, on parle de la culture
mais c'est avec ce qu'on a qu'on veut faire, ce qui est nouveau, il n'y a pas trop de place dans l'autre monde qui est proposé par
attac ou le FSE ou José Bové qui tient beaucoup à sa terre.
On peut parler des ordures de la techno, mais si on veut parler des ordures, parlons-aussi des ordures industrielles, parlons aussi
de la décharge de Marseille , illégale depuis je ne sais pas combien d'années, c'est une montagne de merde.
Parlons des déchets chimiques, des déchets nucléaires, qu'est-ce que ça représente les déchet de la techno ?
Quand il y a une manif dans Paris avec 100 000 manifestants, avant il y avait les CRS qui venaient canarder les derniers manifestants,
aujourd'hui on ne fait plus comme ça, ce sont les balayeuses, les CRS verts, qui passent derrière et il n'y a plus de trace de
la manifestation. Ca veut dire qu'il y a des employés pour les uns, et pas pour d'autres ?
Je reviens au problème des autorisations, il y a des agriculteurs qui ont cédé leur terrain pour organiser des teufs, en Bretagne
un maire s'est battu pour avoir sa free-party, pour une question politique, il n'a pas réussi à le faire parce que les habitants refusaient,
et c'est vrai qu'il est dépendant de son électorat, il respecte aussi la démocratie dans son quartier, il ne va pas se battre contre
ses administrés pour faire une fête. La censure vient donc aussi de la population.
Comme elle a existé vis-à-vis du rock, du jazz, des punks, et comme elle existe vis-à-vis des noirs, des arabes, parce que quelque part
c'est le même phénomène.
Après si on veut parler du problème de la drogue, quand on voit qu'il y a cinq millions de fumeurs de cannabis en France, que 60 pour
cent de la population prend des médicaments pour s'endormir, je me dis «est-ce que quelqu'un est sain parmi nous ?» On vit dans un monde
ou tout doit etre securisé, sanitarisé si le mot existe, et en fait on est sûr de personne, ni au niveau mental, ni au niveau de sa santé
physique.
Je pense que si aujourd'hui il y a une attaque en règle contre la techno, elle vient de plusieurs endroits. Elle vient de là où
on s'y attend le moins, des professionnels du spectacle et de la nuit. Un mec qui a investit dans une discothèque qui peut
accueuillir cinq mille jeunes en rase campagne, s'il y a une teuf gratuite juste à côté, il se dit«C'est du public qui ne vient
pas chez nous».
Il y a ce phénomène là, et ce n'est pas anodin, parce qu'il y a du lobbying en France, on a honte d'en parler mais ça existe le lobbying en France, qui s'exerce auprès des députés.
Ils mettent la pression parce que c'est du manque à gagner pour les discothèques, et il ne faut pas que le phénomène se développe, parce que s'il se développe, c'est la mort des discothèques, la mort des méga-concerts, et c'est la mort des stars. Il y a un autre point dans les outils de la censure. C'est quand tu viens jouer gratuitement, on peut venir jouer pour s 'amuser, pour donner, on t'accuses de travail dissimulé, c'est à dire que le dj est accusé de travailler au noir, et c'est pour ça qu'ils recherchent à ce qu'il y aient des associations responsables pour inculper l'association. Et ça coute très très cher. Un seul salarié non déclaré, ça peut aller jusqu'à plusieurs années de prison et dans les 7000 euros par «salarié».
Ca n'est pas que pour les dj, c'est pour tous les musiciens amateurs, dès qu'on monte sur une scène, il y a une présomption de salariat et de travail, donc meme un musicien amateur doit faire l'objet d'une déclaration en bonne et due forme.
Il n'y pas beaucoup de contrôles dans les salles de concerts, je ne sais pas s'il y a déjà des contrôles d'ursaaf à l'Olympia pour savoir si tous les musiciens étaient déclarés ou non, mais moi je l'ai subi à la Flèche d'Or, c'était pas très très méchant, mais pour une free-party ou ils savent que c'est gratuit et que les douaniers, le fisc, tout le monde vient, c'est une forme de censure, et l'administration a tout un panel de fonctionnaires, il suffit d'un petit coup de fil, et vous y allez et vous cartonnez, et c'est la mort des gens. Les mecs sont endettés à vie, il y a un entrepôt pas loin d'ici qui vend des sonos, les sounds-systems sont à vendre. L'administration a gagné, ça veut dire qu'on a tué cette culture. C'est même plus la censure, c'est la mort.
J'ai un petit témoignage. Je suis réalisateur,j 'ai fait un film pour Arte qui s'appelle « Teuf » qui parle des rave-parties en Bretagne
où j'ai passé un an avec ces jeunes.
Moi ce que je trouve marrant dans tout ce qu'on raconte c'est le côté non-frontal de la manière d'aborder les choses,
c'est à dire qu'en Angleterre, on met les bobbies et on est frontal, on sait à peu près s'il y a le droit ou pas.
Ici c'est quelque chose de très fallacieux ce que vous étiez en train de dire à l'instant. En gros on va essayer de mettre le gars
qui est à moitié au RMI, qui veut monter ces trucs-là , on va s'arranger pour le mettre dans une situation financière telle que de
toutes façons il en a pour trente ans à s'en remettre, on lui a piqué tout son matos, il a des remboursements incroyables...
Je trouve que c'est une forme de censure.
On nous dit «L'art est toujours né de la marge. Ca a toujours été comme ça «Moi ça me rend un peu malheureux.
Quand je vois le manière dont on m'a répondu dans une chaîne nationale qui est plutot bien côtée, on m'a dit «oui mais tu comprends,
tu donnes un regard trop social sur la techno...» Parce qu'en fait ce qui était intéressant c'était de rendre intellectuelle la techno,
avant c'était ce qui servait à vendre dans les prisunic, on faisait «boum boum boum pour dire bonux c'est génial» ça, ça marchait bien.
Normalement c'est gratuit, mais tous les dj internationaux sont des gens qui font des soirées à 150 000 balles, donc à un moment donné,
je dis mais qu'est-ce qu'on est en train de raconter ?
Moi ce qui m'interessais vraiment quand je filmais à rennes, c'est que je voyais ce pizzaiolo, rmiste, précaire, en même temps à qui on dit
«de toutes façons tu ne peux même pas te rapprocher d'un syndicat quelconque, parce que tu n'existes pas»
Donc ne nous plaignons pas que les mômes nous échappent et vont faire des conneries, il faut savoir dans quelle société on vit.
Ils nous échappent et en même temps ils n'ont même pas le droit de se rassembler même pour défendre ce qui est un truc pour moi très important,
ça s'appelle la dignité. Donc à un moment donné, jouer au chat et à la souris, avec des gens qui ne se recpectent même plus parce qu'aujourd'hui
il faut absolument baisser toutes ses gardes, se mettre à plat ventre pour un putain d'emploi. Ce sont des gens qui ont fait parfois
jusqu'à 5, 6 ans, 7 ans d'interim pour être embauchés parce que le filtre a bien fonctionné. Après on dit « cette jeunesse là,
nous qui sommes quand même vachement normaux et tout, comment ça se fait qu'ils nous échappent ? ». C'est un peu par là que j'ai cherché le fil.
On m'a dit, dans cette chaîne respectable, que j'aime beaucoup (on ne tire jamais dans le bateau dans lequel on navigue,
donc je n'aime pas tirer dedans) « Tu vois, il y a déjà des gens très intellos qui réfléchissent beaucoup sur la techno...
ça n'est pas si important».
Nusrat Fateh Ali Khan fait de la techno, les dervishes tourneurs font de la techno, pourquoi cette musique devrait-elle devenir honteuse
et aller ce cacher dans un coin ?
Posons-nous des questions sociales par ailleurs..
Je vais passer la parole à Riton qui a un témoignage sur un autre phénomène de censure dont sont victimes les musiciens.
Je représente une association de chanteurs de rue qui s'appelle Ritournelles et Manivelles qui s'est fondée aussi sur la censure puisqu'elle s'est fondée il y a une
dizaine d'année au moment des lois anti-mendicité. On s'était alarmé du fait de savoir qu'on avait plus le droit de faire la manche, enfin les pauvres n'avaient plus le droit de faire la manche, est-ce qu'il en était de la même nature pour les chanteurs de rue ?
Donc on a fait une pétition un peu spontanément à deux, et puis c'est devenu une association.
On avait écrit à l'époque à tous les maires qui avaient prononcé des arrêts anti-mendicité,
qui nous ont tous répondu que bien évidemment ça ne nous concernait pas nous les merveilleux chanteurs de rue, sauf peut-être Crépeau (Maire de la Rochelle) qui nous avait dit d'accord mais dans des conditions légales, c'est à dire les réglements municipaux. Il faut savoir qu'on est touché de la même manière que tous les autres, à peu près pour les mêmes raisons, et en particulier à Paris, puisqu'à Paris il est interdit de faire de la musique dans la rue. Pour ce qui est de la musique dans la rue, dans toutes les villes de France c'est le maire qui décide d'autoriser ou non, à Paris c'est la Préfecture de Police qui s'en occupe. Donc on peut toujours être très bien avec Delanoé ça ne sert à rien.
Ce matin, j'étais sur un marché en pleine illégalité évidemment, avec la complicité des commerçants qui m'avaient demandé de venir.
Dans tout ce qu'on a dit au sujet du bruit, il y une chose qui m'interpelle c'est qu'on dit toujours la musique c'est du bruit,
la musique c'est du son, et le bruit c'est la musique des autres. Le bruit c'est du son au-delà d'un certain niveau qui est légal.
Il manque dans nos débats à chaque fois qu'on parle de la musique et de son insupportabilité, les associations qui réprensentent
les ennnemis du bruit. Nous on a travaillé avec l'association anti-bruit qui est venue témoigner dans un procès contre un chanteur
de rue pour dire que le bruit ça correspond à un certain seuil, il y des normes, donc on peut être en deça ou au-delà.
C'est que quand on discute de ça il faudrait avoir de temps en temps des seuils pour savoir de quoi il est question.
En ville, il y a des seuils, je ne les connais pas mais je sais que ça existe.
Sur la saisie du matériel à Paris, on a défendu une copine qui était accordéoniste et qui s'est vue confisqué son instrument
parce qu'elle jouait à un coin de rue dans le 14ème arrondissement et donc il a fallu aller devant la police pour dire qu'on
a pas le droit de confisquer l'instrument de travail. Ceci étant on nous a répondu que comme elle n'avait pas l'autorisation de le faire,
ce n'était donc pas du travail. Et il y a un autre niveau puisqu'on parle de gratuité ou pas gratuité, quid de ce que nous donne le public
qui passe, et qui pour moi est de la mendicité, car je revendique ça, alors évidemment ça choque toujours, on dit non non
c'est la juste rétribution d'un travail mais non, il n'est pas quantifiable, donne qui veut, et moi je donne la musique à qui veut bien
l'entendre et à tout le monde. Donc ça a des implications légales, et aussi au niveau des impôts parce que jusqu'à preuve du contraire,
le produit de la mendicité n'est pas taxable. Donc je peux très bien avoir un statut d'intermittent du spectacle tout à fait légal etc,
et faire la mendicité en plus, et l'argent je le garde.
C'est pas joli, hein ? C'est méchant.
Il en est de même à Paris pour les peintres ambulants. Ceux qui accrochent leurs tableaux sur St Germain l'Auxerrois par exemple,
c'est strictement interdit.
J'ai vu au tribunal un pauvre gars qui s'est fait condamner à 150 euros d'amende et la confiscation de son matériel parce
qu'il avait accroché ses dessins, ses caricatures. C'est interdit. Quand c'est interdit, c'est interdit.
On a eu un long procès avec Jean-Pierrot pendant 7 ou 8 ans, Jean-Pierrot chantait à la butte Montmartre avec son orgue de barbarie
et il a été condamné.
C'est très intéressant parce que l'intitulé de la contravention qui l'a amené au tribunal était le suivant, et d'ailleurs
il était tellement étonnant que le Pv est maintenant au musée des arts et des traditions populaires :
«Emission de bruits de musique à l'aide d'un orgues de barbarie, pouvant porter atteinte à la santé de l'homme» (rires).
Ce qui est halluciant ce qu'il y a des pickpockets qui bossent autour, et là la police laisse faire.
Jean-Pierrot utilise un instrument assez volumineux qu'il transporte dans son camion, il ne pouvait pas se sauver comme les vendeurs
à la sauvette peuvent se sauver à toute vitesse. Un jour le commissaire du 18ème a décidé qu'il fallait «nettoyer» montmartre,
les flics ont entendu «on va nettoyer montmartre !» et le seul qui ne pouvait pas se sauver, et qui n'en avait pas le désir,
et qui manifestait parfois une certaine agressivité envers les forces publiques, c'était Jean-Pierrot, donc il a eu de nombreux pv
et ça nous a amené au tribunal et après un long plaidoyer au tribunal de police (ce qui arrive rarement parce qu'au tribunal de police
on traite surtout des affaires de voisinage, excès de vitesse, alcoolisme sur la voie publique...il n'y a généralement pas de plaidoirie).
On a amené un avocat qui a plaidé pendant plus d'une heure sur le droit à chanter dans la rue, et donc notre collèque a été déclaré coupable,
il avait effectivement chanté dans la rue, et dispensé de peine. Il a fait valoir que devant le sacré-choeur, là ou il chantait,
il était à plus de 100 mètres de tout lieu habité., donc ça a été pris en compte.
Vous avez peut-être entendu cette histoire d'une avocate qui a été saisie par le conseil des avocats parce qu'elle jouait de
l'accordéon dans la rue avec son compagnon. Cela portait atteinte à la diginité de la profession d'avocat.
Elle a été condamnée à deux mois d'interdiction d'exercer la profession.
Finalement ça a été débouté en appel. La musique c'est indigne finalement, que ça soit de la techno ou n'importe quoi,
surtout quand ce n'est pas sa propre musique. Si elle avait joué du classique, on ne l'aurait peut-être pas assignée de la même manière.
Je travaille à l'IRMA ( Institut de Ressources pour les Musiques Actuelles)
Notre rôle, en gros, c'est d'informer les professionnels et les amateurs qui travaillent dans le secteur des musiques actuelles.
Avant ça, j'ai fait un mémoire de DESS qui concernait les nuisances sonores sur l'agglomération parisienne.
Les problématiques dans Paris sont relativement différentes de ce qui se trouve dans le reste de la France,
c'est une ville un peu anarchique au niveau musical, en gros le but à l'origine c'était de savoir si les réglementations
anti-bruit avaient une influence sur la nature de la programmation dans la capitale. Un décret anti-bruit,
est-ce que ça va du jour au lendemain dissuader tous les programmateurs de passer du métal, du punk ou autre chose ?
Il s'est avéré que c'était assez dur à quantifier parce qu'il aurait fallu faire une investigation régulière de tous
les lieux de diffusion, mais derrière ça ce qui était souligné, c'était l'importance de cette réglémentation.
Il y a eu une loi en 1992, qui s'appelle la loi bruit, qui s'est déclinée en 92 et en 98
par deux décrets d'application. En 1995, il y a eu un décret sur les bruits de voisinage,
qui rélève plus de la juridiction civile. En gros, un voisin se plaint d'une nuisance sonore, il va porter plainte,
et ça sera réglé devant un tribunal civil.
Le décret de 98 est un décret sur les lieux musicaux, qui est né d'une double problématique, celle évidemment
de la gêne occasionnée vers le voisinage, et aussi celle des oreilles, de la santé auditive.
Il est vrai que dans le milieu des musiques actuelles il y a de plus en plus de jeunes qui ont des problèmes d'oreilles,
ça se manifeste par des acouphènes, des problèmes durables qui peuvent être irréversibles
et donc il y eu une volonté de légiférer là-dessus. Ce décret impose que les lieux devront avoir une isolation particulière
et que le taux de décibels émis par les systèmes de sonorisation devra être inférieur à 105 dB en niveau moyen,
et à 120 dB en niveau de crête. Ca veut dire que la moyenne des dB, doit inférieure ou égale à 105 dB.
Ce décret est en cours de révision parce qu'il y avait beaucoup d'incohérences.
Pour revenir au thème qu'on a tous abordé, il y a des choses à changer dans ce pays, c'est clair. A mon avis, la meilleure façon,
pas forcément la plus simple, de changer, c'est d'aller directement au niveau des lois et des décrets, et savoir comment
ils peuvent être contournés et changés. Technopol l'a fait au niveau du décret sur les raves-parties, il y a un recours
au conseil d'état qui va peut-être aboutir à une annulation du décret, enfin il faut l'espérer.
Pour le décret-bruit c'est la même chose, il y a beaucoup d'incohérences et des gens sont autour de la table
en ce moment pour essayer de voir en quoi ça pourrait être amélioré.
Le décret-bruit qui était fait au départ pour un problème de santé publique, puisque c'est vrai que là il y a un vrai problème, mais ça a produit la fermeture de plus de 100 établissements sur Paris. C'est énorme.
Il ne faut pas confondre ce qui relève d'une plainte du voisinage qui va ensuite arriver dans une espèce d'engrenage qui
va aboutir à la fermeture des lieux sur une simple plainte, et ce qui relève de ce décret en particulier, qui relève du droit pénal.
Pour relever une anomalie, il faut un système de mesure officiel, fait par les forces de l'ordre de façon officielle et précise.
Est-ce que c'est fait de façon automatique, je ne sais pas, mais il y a deux choses qu'il ne faut pas confondre.
De plus en plus de fermetures sont prononcées, il est vrai que l'isolation coûte une somme phénoménale aux lieux,
ça peut aussi en dissuader certains. Ce sont des nouvelles contraintes, pas si nouvelles que ça d'ailleurs,
parce que la loi date de plus de dix ans, mais c'est vrai ça peut avoir une influence sur le paysage culturel, c'est clair.
Musiques Tangentes à Malakoff et Chaville
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